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Argumentaire LRU Rouen

Argumentaire sur la loi Libertés et Responsabilités des Universités

dimanche 14 octobre 2007, par Webmestre

Un argumentaire rédigé par l’intersyndicale de l’Université de Rouen (cf. aussi le tract d’appel à la grève du 18 octobre).

Contexte

Cette loi a été présentée par F. Fillon comme le chantier le plus important de la législature. Elle a été adoptée avec la procédure parlementaire d’urgence qui raccourcit considérablement la durée de discussion de la loi, en plein cœur de l’été. Sur la forme, il n’est évidemment pas anodin de faire ainsi voter une loi sur les universités en plein été, sans tenir le moindre compte des oppositions exprimées dans les différentes instances représentatives de l’enseignement supérieur comme le CNESER du 22 juin ou les différents conseils d’université. Ainsi à Rouen, lors de la réunion des 3 conseils de l’université le 3 juillet, une motion a été votée à une large majorité demandant le retrait de ce qui était encore un projet de loi. De même, des associations comme "Sauvons la recherche" ou des conférences de doyens, ceux de droit en particulier que l’on ne peut suspecter d’être des contestataires professionnels, se sont prononcés contre cette loi. De l’autre côté, on n’a pu trouver pratiquement que la Conférence des Présidents d’Université, sorte d’amicale de 85 présidents d’université qui ne représentent qu’eux-mêmes puisqu’ils ne sont jamais mandatés lorsqu’ils s’expriment dans le cadre de la CPU.

Cette loi ne peut être analysée de façon isolée, indépendamment du contexte global puisque certains aspects ne sont pas forcéments écrits noir sur blanc mais peuvent relever de décrets ultérieurs.

Le contexte général de l’enseignement supérieur et de la recherche peut être résumé rapidement.
 Sous-financement chronique de l’université en France. On dépense en moyenne 6700 € par étudiant et par an contre 10000 € au moins dans les autres pays de l’OCDE, alors que l’université accueille le public le plus hétérogène. A l’université de Rouen, l’Etat ne verse chaque année que 85% environ de la somme qu’il estime lui-même nécessaire à son fonctionnement (DGF).
 Adoption d’une loi sur la recherche appelée “pacte pour la recherche” en 2006 qui entérine un financement essentiellement sur projets et privilégie de fait la recherche finalisée, rapidement "rentable". On assiste en parallèle à une asphyxie des organismes de recherche (CNRS, INSERM) sommés de concentrer leurs moyens sur des secteurs jugés prioritaires, indépendamment de toute objectivité scientifique (certaines unités de recherche sont désassociées du CNRS non pour des raisons de mauvaise qualité scientifique mais parce qu’elles ne rentrent pas dans le schéma de politique scientifique de la direction du CNRS).
 Dualité (spécifiquement française) entre les universités et les grandes écoles pour l’enseignement supérieur.

Un autre élément de contexte, plutôt conjoncturel mais qui inspire certains articles de la loi, c’est le souvenir du mouvement contre le CPE au printemps 2006. Le gouvernement a analysé ce mouvement de contestation extrêmement puissant non comme le refus de la part de la jeunesse de se voir imposer un statut discriminant (contrat de travail spécifique aux jeunes) mais comme le reflet d’un malaise, au regard de l’insertion professionnelle en particulier.

Enfin, il est nécessaire de rappeler les promesses du candidat Sarkozy d’augmenter considérablement le budget de l’enseignement supérieur, or on n’a pas vu l’adoption d’un collectif budgétaire qui aurait permis dès cette rentrée d’affecter des moyens supplémentaires aux universités et l’augmentation du budget 2008 enseignement supérieur - recherche profite essentiellement à la recherche appliquée ou aux entreprises par le crédit impôt-recherche.

Ces éléments de contexte montrent bien que l’urgence n’était certainement pas une loi qui bouleverse le mode de gestion des universités, remet en cause le statut des personnels et inscrit la concurrence généralisée comme politique de gestion des universités et des filières.

Comme toujours, plusieurs réformes sont possibles et le choix entre elles est politique et non pas technique.

Objectifs (non avoués) de la loi

 Donner au Ministère le contrôle direct de toute la politique scientifique en affaiblissant puis en faisant disparaître les organismes publics de recherche et leurs instances représentatives perçus comme excessivement autonomes. Cette reprise en main doit permettre de réorienter les activités de recherche et les cursus universitaires vers les domaines considérés comme rapidement « rentables » du point de vue économique.
 Modifier les règles de recrutement et de rémunération des personnels pour passer du statut de la fonction publique au CDD ou CDI, permettant de négocier le salaire et le service de recherche et d’enseignement de gré à gré.
 Modifier l’équilibre de financement des universités avec une diminution progressive du poids relatif de l’Etat dans ce secteur.

Plutôt que de favoriser la coopération et l’émulation entre les acteurs de la recherche et de l’enseignement supérieur (dont le lien ne doit surtout pas être remis en cause), il s’agit, dans le cadre de cette loi, d’organiser une mise en concurrence généralisée, en cohérence avec les lois du marché, alors que la recherche, avec ses rythmes propres et sa nécessaire diversité ne peut que s’en trouver affaiblie.

Le terme d’autonomie renvoie en fait à l’autonomie de gestion et non à l’autonomie scientifique – bien au contraire.

Elle s’apparente à un changement de statut permettant à l’État de se désengager progressivement ou en tout cas de diminuer sa part dans le financement (cf rapport de F. Goulard qui compare le financement de l’État qui est de 90% environ aujourd’hui dans le budget total d’une université française alors que dans une université américaine, il est de moins de 50%). Cette réforme aura donc pour conséquence d’accroître les inégalités qui existent entre les moyens — humains et financiers — des différentes universités et pour chacune d’elles des différentes disciplines. Bien évidemment, les secteurs disciplinaires ne sont pas à égalité lorsqu’il s’agit d’attirer des investissements privés, ce qui n’a rien à voir avec la qualité scientifique.

Puisque le modèle dont ce projet s’inspire est bien-sûr le modèle anglo-saxon avec la volonté affichée de rapprocher le milieu de l’entreprise du monde universitaire, il convient de souligner qu’il est très difficilement transposable au système universitaire français en raison de l’existence des « grandes écoles » qui sont une pure spécificité française. En France, contrairement à tous les autres pays développés, les diplômes universitaires (y compris le doctorat) sont très mal reconnus dans le secteur privé puisque la majorité des cadres dans les entreprises privées proviennent de ces fameuses « grandes écoles » qui disposent de davantage de moyens pour leurs étudiants et pratiquent une sélection à l’entrée. Pourtant, ces grandes écoles contribuent de façon très marginale à l’activité de recherche globale (peu d’écoles d’ingénieurs sont dotées de laboratoires de recherche reconnus). Les entreprises sont donc culturellement beaucoup plus éloignées en France du monde de la recherche que dans les autres pays développés.

Fausse autonomie : mise sous tutelle des universitaires

 Pouvoirs considérablement accrus des Présidents et de leur Conseil d’Administration.

La composition des Conseils d’Administration (art. 7) est très ressérée avec surtout une forte baisse de la représentation des étudiants au profit des membres extérieurs choisis par le président.

Les présidents d’université sont élus par les élus au CA uniquement (c’est-à-dire entre 13 et 22 membres au lieu de l’ensemble des membres des 3 conseils aujourd’hui, soit de l’ordre de 140 membres) (art.6). Surtout, compte-tenu de la mise en place d’un scrutin majoritaire de type municipal pour le collège des enseignants-chercheurs (art.11), la liste arrivée en tête (même d’une seule voix) détient à elle seule pratiquement la majorité absolue au CA (sans les étudiants et les personnels BIATOSS). Dans cette configuration, le président élu est très fortement « en cohérence » avec la liste majoritaire au CA et comme c’est lui qui choisit ensuite les membres extérieurs, les problèmes de majorité lors des délibérations du CA ne se posent pratiquement plus.

Du point de vue de leurs prérogatives, le projet de loi étend considérablement celles du président et de son CA. Dorénavant, le président a un droit de véto sur les recrutements de tous les personnels, BIATOS et enseignants-chercheurs (art.6) – c’est déjà le cas pour les directeurs d’IUT et on constate dans certains cas les dégâts que cela peut entraîner. Les recrutements sont effectués par des « comités de sélection » choisis localement par les CA (art.25), sans principe d’élection par les pairs comme c’est le cas actuellement dans les commissions de spécialistes. Cette nouvelle procédure de recrutement, condamnée par l’ensemble des instances chargées de l’évaluation des enseignants, conduira immanquablement au développement des pratiques de « clientélisme mandarinal », à l’opposé de l’indispensable objectivité scientifique.

Concernant les recrutements toujours, le président peut recruter pour une durée déterminée ou indéterminée des agents contractuels de catégorie A pour occuper des fonctions techniques ou administratives, des agents contractuels pour assurer des fonctions d’enseignement et de recherche, après avis du comité de sélection (art. 19 - L.954-3). La remise en cause et même à terme la disparition du statut de fonctionnaires pour les personnels des universités est donc tout-à-fait envisageable à partir de cet article, à l’image de ce qui a pu se faire à France Télécom par exemple. Cet aspect doit d’ailleurs être mis en relation avec le développement des financements sur projets de recherche par l’Agence Nationale de la Recherche mise en place dans le « pacte pour la recherche » qui permet de plus en plus de recruter des CDD pour des missions de recherche limitées dans le temps au détriment des emplois statutaires.

Pour ce qui concerne les missions des enseignants-chercheurs, les charges de service des personnels (enseignement, recherche, administration) sont définies localement par le CA (art. 19 - L.954-1).

Le président est par ailleurs responsable de l’attribution des primes aux personnels et le CA peut créer des dispositifs d’intéressement permettant d’améliorer la rémunération des personnels – selon quels critères ? (art. 19 - L.954-2).

 Budget global.

Les universités peuvent demander à bénéficier des responsabilités et des compétences élargies en matière budgétaire et de ressources humaines (art.18 - L712-8). C’est ici le passage au budget global avec limitation des montants affectés à la masse salariale et plafond des emplois. Par ailleurs, les universités sont autorisées à créer des fondations (art. 28 – L719-12) ce qui constitue un élément supplémentaire permettant aux universités de chercher des subsides hors du financement de l’État. Cette nouveauté peut permettre à l’État de se désengager progressivement du financement des universités. Enfin, les établissements qui le souhaitent peuvent demander la propriété de leurs biens mobiliers et immobiliers (art. 32 – L719-14). Cette clause est particulièrement dangereuse car la vente ou l’hypothèque de ces biens devient un moyen pour les universités d’abonder leur budget.

Universités : bientôt la privatisation ?

Globalement, toutes ces mesures vont dans le même sens : suppléer le désengagement financier de l’État, avec le risque d’accroître les inégalités entre les universités riches (celles qui ont pu se doter de fondations, de labos détenteurs de contrats…) et pauvres (les collèges universitaires de niveau L).

 Formation et enseignement.

Même si le projet de loi dans sa nouvelle version ne mentionne plus explicitement la sélection à l’entrée du deuxième cycle (M1), cette notion peut très bien figurer dans un simple décret ultérieur. Par ailleurs, le renforcement du principe d’« orientation active » pour les élèves de terminale (art. 20), sans que les contours en soient précisés, risque à terme de déboucher sur l’instauration de numerus clausus dans certains filières universitaires. Le candidat N. Sarkozy a été suffisamment clair sur cette question en précisant que ce n’était pas à l’Etat de financer les études dans des disciplines jugées inutiles d’un point de vue économique.