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Influence de la loi sur différents aspects de la vie universitaire

La loi d’août 2007 sur les universités : Une pièce maîtresse du projet « néolibéral ». Impact sur les personnels

mardi 25 septembre 2007, par Marc Delepouve (Secrétaire général d’Attac & Snesup-Fsu)

La loi du 10 août 2007, relative aux libertés et responsabilités des universités, est en France une pièce maîtresse du projet néolibéral. C’est pourquoi dès cet été, Attac, association altermondialiste, a décidé de s’engager contre cette loi.

La gouvernance des universités, l’offre de formation, le financement, le statut des personnels, chacune de ces questions est importante, chacune est frappée de plein de fouet par la loi Pécresse et appelle une mobilisation. Mais au-delà, ces différentes questions entrent dans une cohérence globale qui éclaire l’enjeu central de cette loi : une attaque contre la démocratie et contre la société libérale (que nous opposons au néolibéralisme économique).

Dans une société libre et démocratique, une mission essentielle du service public d’enseignement supérieur et de recherche est le développement et la diffusion de connaissances, cela notamment au service de l’épanouissement intellectuel et culturel des citoyens que sont les étudiants, et en particulier au service de la liberté de pensée et de l’esprit critique, lesquels — liberté et esprit — reposent sur la confrontation avec des champs idéologiques divers et contradictoires. A cette fin, le service public universitaire se doit d’être protégé de toute hégémonie idéologique. Tout le monde ne l’entend évidemment pas ainsi. Hors de l’université le système « néolibéral », qui a besoin pour survivre d’être idéologiquement hégémonique, a déjà mis la main, à un niveau quasi planétaire, sur la plus grande part de l’espace médiatique, et à développer son industrie culturelle. En y ajoutant l’industrie de la publicité nous avons ainsi un appareil de conditionnement idéologique particulièrement puissant. Aussi, pour assurer son développement et sa pérennité, le néolibéralisme est maintenant entrain de prendre possession de l’université. Mais certains peuples opposent une résistance. Parmi ceux-ci les français. Déjà il y 20 ans, en 1986, ils ont mis en échec le projet de loi Devaquet. Mais la France ne doit pas faire exception et Nicolas Sarkozy entend la soumettre.

Venons maintenant à la loi du 10 août. La défense de l’université contre toute influence idéologique hégémonique repose sur deux niveaux de règles, qui ensemble protégent la liberté académique de l’universitaire. La loi du 10 août vise d’abord à supprimer le premier de ces niveaux, déjà effrité, en modifiant les nécessaires relations qu’entretiennent les universités avec des acteurs qui lui sont extérieurs. Ainsi les financements privés, qui existent déjà, seront-ils facilités, encouragés, comme cela a été dit plus tôt dans la matinée. Voir les articles 28 à 33 qui portent notamment sur les fondations. L’objectif est notamment de développer le mécénat, avec les exonérations fiscales afférentes.

La loi du 10 août s’attaque ensuite au second niveau, en modifiant radicalement les relations entre les directions des universités et les personnels, notamment les personnels d’enseignement et de recherche, mais aussi les personnels techniques et administratifs. C’est ainsi que la loi, en son article 19, prévoit des outils de soumission, et finalement enterre la liberté académique. Je vous lis trois extraits de cet article :
- Premier extrait :

« Le conseil d’administration définit (...) les principes généraux de répartition des obligations de services des personnels enseignants et de recherche entre les activités d’enseignement, de recherche et les autres missions qui peuvent être confiées à ces personnels. ». Nous voyons ainsi que cette loi introduit la « modulation des services ». Les principes de cette modulation, décidés par le Conseil d’administration, seront exécutés par le Président de l’université (voir à ce sujet l’article 6-2, premier alinéa selon lequel le Président exécute les délibérations du Conseil d’administration, ce qui était d’ailleurs déjà le cas antérieurement).


- Second extrait :

« Le conseil d’administration peut créer des dispositifs d’intéressement permettant d’améliorer la rémunération des personnels. »


- Dernier extrait de cet article 19 :

« Le président peut recruter, pour une durée déterminée ou indéterminée des agents contractuels pour assurer des fonctions d’enseignement, de recherche ou d’enseignement et de recherche (Idem pour tous les autres personnels universitaires) ».

Toutefois l’article 18 précise, au sujet de la masse salariale issue de la dotation de l’état, que « le plan pluriannuel d’établissement fixe le pourcentage maximum de cette masse que l’établissement peut consacrer au recrutement des agents contractuels ». Quant à la masse salariale issue d’autres voies de financement (fondations, etc.), elle ne fait l’objet d’aucune limite.

L’absence de liberté académique d’un agent sous contrat à durée déterminée n’est pas à démontrer. A l’opposé nous aurions des personnels qui gardent le statut de fonctionnaire. Mais à leur endroit, la carotte et le bâton de la modulation des services, ainsi que l’intéressement, auront, n’en doutons pas, leur efficacité. Même si quelques récalcitrants défendront farouchement leur indépendance.

Quant au mode de recrutement des personnels, nous venons de voir que les contractuels seront recrutés par le Président tout puissant. Mais celui-ci aura aussi son mot à dire sur le recrutement des fonctionnaires. En effet :
- L’article 6 stipule que « aucune affectation ne peut-être prononcée si le président émet un avis défavorable motivé ». Ceci donne au président un droit de veto sur l’ensemble des affectations. (Toutefois cet article 6 restreint ce droit lorsqu’il s’agit du recrutement de nouveaux reçus de l’agrégation de l’enseignement supérieur. Ainsi cette restriction du droit de veto concerne uniquement le recrutement de certains professeurs de droit, d’économie, de gestion et de sciences politiques.)
- Toujours au sujet du recrutement. Les commissions de spécialistes sont remplacées par des comités de sélection nommés, sur proposition du président, par le Conseil d’administration, lequel siège alors en formation restreinte aux seuls représentants élus des chercheurs, des enseignants-chercheurs et des personnels assimilés. (Voir l’article 25).

Différentes pièces du puzzle que constitue cette loi étant maintenant rassemblées, nous pouvons plus particulièrement nous interroger sur l’influence que pourront développer les mécènes sur des départements de lettres, de sciences humaines et de sciences sociales : chez les puissants, tout au moins chez la plupart d’entre eux, afin de préserver voire de développer leurs privilèges et leurs pouvoirs, est présente sans discontinuité la volonté d’influencer les valeurs que portent leurs concitoyens, ainsi que les représentations du réel et les comportements. Pourquoi aujourd’hui ferait-il exception ? De bons travailleurs, de bons consommateurs et de bons citoyens, voilà ce qu’il leur faut. Et pour cela l’université est une pièce maîtresse, y compris évidemment dans les domaines des lettres et sciences humaines.

Finalement les mécènes — entreprises ou individus fortunés — financeront des universités dites publiques, lesquelles — emportées par la course concurrentielle au financement — intérioriseront toujours plus les attentes et les intérêts de leurs bienfaiteurs.

Pour conclure, si la loi Pécresse/Sarkozy est une pièce maîtresse du projet « néolibéral », c’est d’abord parce que notre université publique est une clé de voûte de la démocratie et de la liberté. Il revient donc à toutes les citoyennes et tous les citoyens de la défendre. Mais défendre l’université publique, c’est aussi proposer une évolution de celle-ci, et cette nécessaire évolution — qui doit répondre aux besoins de formation de la personne, du citoyen et du travailleurs — ne peut se penser en dehors de la société, elle ne peut se penser sans prendre en considération les enjeux les plus importants de notre temps, que ce soit la domination de peuples du sud — que l’immigration choisie vient renforcer — ou le péril environnemental qui aujourd’hui se précise.

Face à ces enjeux qui peuvent parfois sembler nous dépasser, syndicats et associations, c’est ensemble que nous pourrons avancer, et c’est en nous solidarisant au niveau européen et au-delà que nous imposerons des réponses effectivement libérales, démocratiques et à la hauteur de ces enjeux.