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Influence de la loi sur différents aspects de la vie universitaire

Incidences de la loi sur les questions budgétaires et patrimoniales

mardi 25 septembre 2007, par Michel Bernard (Sorbonne Nouvelle-Paris 3)

Il faut retenir trois axes principaux dans les innovations introduites par cette loi : budget global, financements privés, dévolution du patrimoine. Ils constituent tous les trois des attaques frontales contre les conceptions démocratiques du service public d’enseignement supérieur et de recherche en France. Ce n’est pas la première fois que les tenants du libéralisme essaient d’imposer leur vision d’une université largement financée par des fonds privés, correspondant à un désengagement progressif de l’État. Le projet de loi de « modernisation des universités » du ministre Ferry contenait déjà ces dispositions et plusieurs rapports commandités par les gouvernements précédents allaient déjà dans ce sens. Mais cette fois, il s’agit d’un texte ayant force de loi, adopté sans véritable négociation, voté et promulgué en catimini pendant les vacances d’été. Il s’agit donc dans un premier temps d’étudier les conséquences de ce coup de force sur le financement des universités, et ensuite de mettre en place les moyens de s’y opposer.

Michel Bernard (Sorbonne Nouvelle-Paris 3)

Budget global

La possibilité pour une université de disposer de « compétences élargies » en matière budgétaire relève d’une disposition assez curieuse (article 49) selon laquelle les universités peuvent candidater librement pendant une période de cinq ans, au terme de laquelle toutes les universités seront soumises à ce régime. Cela résulte d’une demande de la CPU, qui craignait une concurrence féroce entre les universités à compétences élargies et les autres. Au final, donc, cette compétition pourra quand même avoir lieu pendant cinq ans et les survivants seront mis à égalité à la fin de la période ! Il ne faut du reste pas se faire trop d’illusions sur cette liberté en trompe-l’oeil : comme pour le passage au LMD, le ministère saura manier la carotte et le bâton (à travers, notamment, le financement des contrats quadriennaux) pour inciter les universités à sauter le pas. Il pourra ainsi se féliciter que les universités, d’elles-mêmes, aient reconnu l’excellence du budget global et qu’elles y ont adhéré d’elles-mêmes sans y être contraintes.

Le principe du budget global est très simple : la masse salariale, aujourd’hui séparée du reste du budget, est mélangée avec celui-ci et il est possible d’y puiser pour d’autres dépenses. Ce budget global est inscrit dans le contrat quadriennal : « Le contrat pluriannuel d’établissement conclu par l’université avec l’Etat prévoit, pour chacune des années du contrat et sous réserve des crédits inscrits en loi de finances, le montant global de la dotation de l’Etat en distinguant les montants affectés à la masse salariale, les autres crédits de fonctionnement et les crédits d’investissement. » (Article 18). Bien évidemment, cette disposition est assortie d’un mécanisme qui empêche l’établissement de créer des emplois (« Les montants affectés à la masse salariale au sein de la dotation annuelle de l’Etat sont limitatifs et assortis du plafond des emplois que l’établissement est autorisé à rémunérer. », article 18). Il est donc possible de supprimer des emplois de fonctionnaires et d’utiliser les crédits correspondants pour des dépenses de fonctionnement ou d’investissement, ou pour embaucher des contractuels à moindre coût, mais on ne peut pas faire l’inverse : c’est ce que les techniciens appellent la « fongibilité asymétrique ». Dans le cadre général d’une politique de réduction des dépenses de l’État, il s’agit bien entendu de faire porter sur les universités la responsabilité de la suppression d’emplois de fonctionnaires. Il suffit au gouvernement de faire baisser ses dotations pour contraindre les établissements à puiser dans la masse salariale pour faire face à leurs dépenses. La possibilité de recruter des enseignants contractuels est expressément rappelée dans le même article : « Le contrat pluriannuel d’établissement fixe le pourcentage maximum de cette masse salariale que l’établissement peut consacrer au recrutement des agents contractuels mentionnés à l’article L. 954-3. » [1] (voir aussi l’article 17). L’équilibrage du budget de l’établissement se fera donc de cette manière, en embauchant des enseignants contractuels qui compenseront, sans doute par des services plus lourds et des salaires moins élevés, le potentiel d’enseignement des postes de titulaires dont on aura récupéré la masse salariale pour d’autres usages.

Voilà donc ce qu’ils appellent « l’autonomie des universités » : le droit qu’on leur donne d’amputer elles-mêmes les emplois publics pour faire face à leurs besoins. Ajoutons que cette opération se déroulera sous un contrôle étatique très lourd : la décision d’une université de demander des « compétences élargies » doit être « approuvée par arrêté conjoint du ministre chargé du budget et du ministre chargé de l’enseignement supérieur » (article 18), l’équilibrage du budget, on l’a vu, doit être validé dans le contrat quadriennal, dont l’exécution sera examinée à la loupe (« L’établissement assure l’information régulière du ministre chargé de l’enseignement supérieur et se dote d’instruments d’audit interne et de pilotage financier et patrimonial selon des modalités précisées par décret. », article 18, cf. article 17), le recteur continue, comme actuellement, à contrôler la légalité des décisions du Conseil d’administration mais, en plus, il rend maintenant publics les résultats de ce contrôle (article 34) et enfin « Les comptes de l’université font l’objet d’une certification annuelle par un commissaire aux comptes. » (Article 18) [2]. Il s’agit donc d’une autonomie très encadrée !

Fondations

Une autre possibilité pour les universités de trouver des financements complémentaires est de faire appel au financement privé, à travers des fondations (articles 27 à 31). La loi distingue deux types de fondations :
- « Les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel peuvent créer en leur sein une ou plusieurs fondations universitaires, non dotées de la personnalité morale, résultant de l’affectation irrévocable à l’établissement intéressé de biens, droits ou ressources apportés par un ou plusieurs fondateurs pour la réalisation d’une ou plusieurs oeuvres ou activités d’intérêt général et à but non lucratif conformes aux missions du service public de l’enseignement supérieur visées à l’article L. 123-3. » (Article 28)
- « Les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel peuvent créer, en vue de la réalisation d’une ou plusieurs œuvres ou activités d’intérêt général conformes aux missions de l’établissement, une personne morale à but non lucratif dénommée fondation partenariale. Ils peuvent créer cette fondation seuls ou avec les personnes morales visées à l’article 19 de la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 précitée [3]. » (ibid.)

Dans le premier cas la fondation est intégrée à l’université, placée sous le contrôle de ses institutions et ne dispose pas de personnalité morale. Dans le deuxième cas, en revanche, la fondation « partenariale », qui sera la plupart du temps une fondation d’entreprise, dispose de la personnalité morale et sera beaucoup plus indépendante de l’université même si « Les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel disposent de la majorité des sièges au conseil d’administration » (ibid.) : le financeur de la fondation aura bien entendu le dernier mot. Ce second type de fondation a été rajouté en cours de débat parlementaire par les sénateurs UMP, comme l’évoque la ministre dans son discours à l’Assemblée du 23 juillet 2007 : « Nous avions proposé que des fondations universitaires, reconnues par nature d’utilité publique, puissent être créées, sans personnalité morale. Le Sénat a renforcé notre ambition, en permettant aux universités de créer également des fondations partenariales. »

L’institution et la généralisation de ces fondations constituent un véritable cheval de Troie, dans des universités mal financées par l’État. Le financeur public se verra peu à peu remplacé par les financeurs privés. Comme pour les « chaires d’entreprise » créées dans plusieurs universités, nul doute que les entreprises, au début, ne fassent patte de velours en jurant leurs grands dieux qu’elles garantissent l’indépendance pédagogique et scientifique des universités. Mais que se passera-t-il quand, dans plusieurs années, l’équilibre financier des universités reposera lourdement sur ces financements privés ? Que pèsera la liberté académique devant une entreprise qui paiera, à travers une fondation, les salaires d’une partie des personnels de l’université, qui lui fournira des locaux, remplira les rayons de sa bibliothèque, offrira des services complémentaires à ses étudiants, financera ses colloques ? Comment s’opposer à ses demandes4 quand elle voudra une adaptation des cursus ou un infléchissement des programmes de recherche ?

Pour inciter encore les entreprises à financer l’université, la loi prévoit par ailleurs toutes sortes de cadeaux fiscaux pour celles qui entreront dans les fondations universitaires : réduction d’impôt pour les entreprises qui financeront des thèses au titre du mécénat (article 30), possibilité de financer les fondations universitaires par des dons faits pour acquitter des droits de succession (article 31).

Deux articles sont lourds de menaces :
- L’article 29 permet aux entreprises de bénéficier d’une réduction d’impôt si elles financent une fondation. Cette disposition existait déjà dans le Code des impôts mais la nouvelle rédaction ouvre la porte au financement d’établissements « publics ou privés », ce qui veut dire que si les entreprises ne trouvent pas d’établissements publics suffisamment souples, elles pourront financer des établissements privés délivrant masters et doctorats.
- L’article 27 modifie les règles de fonctionnement des SAIC (services d’activités industrielles et commerciales), dont s’étaient déjà dotées quelques universités pour vendre brevets, publications ou productions diverses, en supprimant la clause suivante, qui encadrait leurs activités : « Dans la limite des ressources disponibles dégagées par ces activités, les établissements peuvent prendre des participations, participer à des groupements et créer des filiales dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. » Il n’y a plus à présent de limitation aux activités de ces services, à travers lesquels les universités peuvent mener de véritables opérations commerciales.

Dévolution du patrimoine

La loi permet aux universités volontaires de se voir transférer la pleine propriété des « biens mobiliers et immobiliers appartenant à l’Etat qui leur sont affectés ou sont mis à leur disposition » (article 32). Aucun moyen particulier n’est associé à ce transfert, sauf à ce qu’une convention engage l’Etat à remettre un bâtiment en sécurité. La formulation semble interdire une vente des biens par l’université (les biens restent affectés « à l’exécution du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche ») mais elle autorise explicitement « un contrat conférant des droits réels à un tiers » (location, hébergement d’autres activités, mise à disposition, etc.).

Les universités vont donc se voir confier des locaux qu’elles n’auront pas les moyens d’entretenir mais qu’elles pourront louer, voire vendre, selon l’interprétation qui sera faite des termes de la loi. Il s’agit là encore, en fait d’« autonomie », d’un dispositif particulièrement retors, qui consiste à appâter les universités avec la possibilité de garantir la mise à disposition de locaux, dont elles pourraient craindre que l’État leur en enlève l’usage, pour les mettre dans une situation financière impossible : en tant que propriétaires, elles seront tenues d’effectuer toutes les dépenses de maintenance et comme elles n’en auront pas les moyens, elles devront se tourner vers d’autres financeurs, collectivités locales ou entreprises, qui pourront éventuellement exiger la mise à disposition des bâtiments, voire leur vente.

Ce dernier point a été crûment souligné par le rapporteur de la loi, Benoist Apparu, lors du débat parlementaire : « Nous souhaitons que les universités puissent, si elles le souhaitent, réaliser des opérations immobilières, que ce soit pour créer un campus ou pour vendre un immeuble afin d’en construire un autre. » L’article 33 précise explicitement que les universités peuvent tirer leurs revenus « de la vente de biens », ce qu’elles ne peuvent évidemment faire que si elles sont propriétaires de plein droit. Une fois que l’université sera propriétaire, il sera facile de faire pression sur elle, et d’autant plus facilement que, surtout dans le cas des universités de centre-ville, la spéculation immobilière a fait monter considérablement le prix de vente potentiel des bâtiments qu’elles occupent. Comme pour la réduction des emplois publics, on amènera ainsi les universités elles-mêmes à décider que des bâtiments de l’État seront vendus. Il y a fort à parier que certaines d’entre elles feront appel au fameux « partenariat public-privé », et qui revient souvent à ce marché de dupes qui consiste à vendre des locaux à une entreprise qui les rénove, assure leur maintenance et les loue, au prix du marché, à l’administration qui l’occupait jusqu’alors à titre gratuit. On peut imaginer aussi, sur le modèle de ce qui s’est passé pour un grand nombre d’entreprises, que certaines universités de centre-ville en difficulté financière pourront être incitées à vendre leurs locaux de prestige pour en acheter d’autres en périphérie. Cette disposition introduit par ailleurs une grande inégalité entre universités dotées d’un patrimoine prestigieux et d’autres, moins bien dotées.

En conclusion

Toutes ces mesures, aux conséquences extrêmement graves sur l’indépendance académique, dépendent, on le voit, de l’accord de l’université ou de son volontariat. Mais cette décision est lourdement contrainte par la pression financière qui s’exerce sur l’établissement. La perversité particulière de cette interprétation de l’« autonomie » réside en cela que les universités devront adhérer d’elles-mêmes à des dispositifs de financement auxquels répugne spontanément tout universitaire et dont elles devront ainsi assumer la pleine responsabilité politique, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’établissement. Les universités qui voudront résister à cette mécanique en s’interdisant de faire appel à des sources de financement privé (y compris, à terme, ne nous faisons pas d’illusions, l’augmentation des droits d’inscription des étudiants [4]) seront laminées par la concurrence et asphyxiées par une diminution des dotations d’État [5]. C’est la raison pour laquelle les quelques garde-fous que l’on pourra poser dans les statuts de l’établissement ou les bonnes dispositions des élus ne pourront pas suffire à endiguer cette puissante offensive. Il est primordial de faire retirer l’ensemble de la loi, qui constitue un tout cohérent et dont l’application, même partielle, serait désastreuse.

Par ailleurs, les nouvelles règles de la « gouvernance » des universités simplifient la prise de décision en matière budgétaire et patrimoniale. Un petit nombre de conseillers, dont une partie est choisie par le président, parmi lesquels la liste d’enseignants arrivée en tête obtient une majorité écrasante, où les usagers et les personnels IATOS sont réduits à la portion congrue, peut très facilement prendre des décisions lourdes de conséquences et qui engagent l’avenir de l’université. L’adhésion enthousiaste de la CPU à la nouvelle loi montre malheureusement que de petits gestionnaires locaux sont prêts à jouer les dupes pour étendre leurs minuscules pouvoirs. C’est de leur part un signe de myopie inquiétant car en réalité la loi va enlever toute indépendance aux universités, qui devront adopter des solutions précontraintes par le législateur et correspondant à des plans arrêtés de longue date dans les milieux libéraux.


[1Il est à noter également, parce que les détails sont souvent révélateurs des intentions du législateur, que si la loi dispose que « Le contrat pluriannuel d’établissement fixe le pourcentage maximum de cette masse salariale que l’établissement peut consacrer au recrutement des agents contractuels », c’est pour exclure de ce maximum les emplois contractuels que des entreprises privées pourraient financer, par le biais de fondations par exemple. Ce point a été débattu au Parlement et expressément introduit dans la loi.

[2Il n’est pas précisé s’il s’agira d’un commissaire public ou privé (dans ce cas, la dépense pourrait se chiffrer à environ 80 000 euros).

[3L’article 19 de cette loi précise : « Les sociétés civiles ou commerciales, les établissements publics à caractère industriel et commercial, les coopératives, les institutions de prévoyance ou les mutuelles peuvent créer, en vue de la réalisation d’une oeuvre d’intérêt général, une personne morale, à but non lucratif, dénommée fondation d’entreprise. Lors de la constitution de la fondation d’entreprise, le ou les fondateurs s’engagent à effectuer les versements mentionnés à l’article 19-7 de la présente loi. ».

[4Cette intervention du député UMP Yves Bur, lors du débat à l’Assemblée, ne laisse aucun doute là-dessus : « La sélection reste un des tabous qu’il semble impossible de briser. Il en est de même des frais d’inscription, pourtant moins onéreux qu’un abonnement de téléphone mobile ! Puisque l’État ne semble pas en mesure d’assumer seul le coût des études supérieures, j’espère que la dynamique de l’autonomie aboutira tôt ou tard à briser ce dernier tabou pour permettre à l’Université de remplir dignement ses missions et de tenir son rang dans le contexte mondialisé. »

[5Cf. la lettre de mission du Président de la République à la Ministre de l’enseignement supérieur, le 5 juillet 2007, où il invite à allouer « les moyens attribués aux établissements d’enseignement supérieur en fonction de leurs résultats en matière d’accès de leurs étudiants au diplôme et d’insertion de leurs diplômés sur le marché du travail ».