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Les perspectives de lutte contre la loi

Les conséquences de la loi d’autonomie des universités pour les étudiants

mardi 25 septembre 2007, par Cédric Piktoroff, UNEF, Sorbonne Nouvelle-Paris 3

La loi d’autonomie n’est que le 1er volet de 5 autres « chantiers » : Vie étudiante, Immobilier, Campus universitaires, Statut des jeunes enseignants et chercheurs, Carrières des personnels. La « réforme » doit donner lieu à 6 lois différentes. On ne peut donc comprendre la loi d’autonomie qu’en relation avec les cinq « chantiers » qui vont suivre.

Concurrence, poids du privé et menaces sur les filières

Menaces sur l’indépendance et la diversité de l’offre de formation par deux moyens :
 Institutionnalisation du désengagement de l’État et du financement des universités par le privé (notamment par le biais des fondations, financement assorti de déductions fiscales…)
 Donner au privé un poids considérable dans les prises de décisions (CA…)

Donc : course aux financements qui mettra toutes les universités en concurrence. Mais les universités devenues autonomes ne seront pas égales en termes de compétitivité. Les unes ont une large gamme de disciplines et peuvent aider les disciplines en difficulté en disposant des ressources financières suffisantes pour les maintenir. Mais lorsque les universités sont spécialisées, notamment dans des disciplines qui suscitent peu d’intérêt pour le secteur privé comme les petites facs de sciences humaines, on ne peut pas faire les compensations que pourront effectuer les facs les plus financées. Il y aura alors une pression très forte pour supprimer ou transformer les filières qui ne parviendront pas à attirer les financements suffisants.

Pour trouver des financements, les universités devront se tourner vers les entreprises. S’engagera alors une course à l’argent privé dans laquelle seront gagnantes les universités les plus riches et les plus attractives. Les autres seront prises à la gorge et seront contraintes à trouver à tout prix les moyens de se financer.

Mais d’autre part, l’influence du secteur privé ne se fera pas que de l’extérieur : les entreprises ont dorénavant un poids considérable dans les CA (cf débat sur la « gouvernance »). Dorénavant, les CA peuvent décider de la création ou de la suppression d’UFR, alors que c’était auparavant le rôle de l’Etat. Les entreprises vont donc pouvoir décider des formations que vont dispenser les universités. Puisque « qui paye décide », les investisseurs du privé peuvent très bien exiger du CA telle ou telle condition à leurs investissements, sous peine de se retirer. De la même manière, les organes de direction des universités seront poussés à intérioriser toujours davantage les attentes et les intérêts de leurs « bienfaiteurs ». Or, les entreprises n’ont pas pour but l’intérêt général mais la réalisation de bénéfices aussi importants que possible. Dès lors qu’elles investissent dans le savoir, elles en attendent forcément un retour sur investissement.

Donc priorité sera donnée aux filières qui les intéressent, c’est-à-dire qui correspondent à leurs besoins en main d’œuvre. Les autres seront soient soumises à des pressions pour être transformées (capacités d’accueil plus restreintes, compatibilité avec les besoins des entreprises : dans telle fac généraliser l’enseignement de langues vivantes appliquées aux techniques de management, dans telle autre pourquoi pas regrouper psycho et socio dans une filière DRH) ou purement supprimées.

Sélection

Dans le projet de loi initial, il y avait la possibilité pour les facs de sélectionner les étudiants en Master 1. Suite aux « concertations » avec les syndicats, cette disposition a été retirée. Technique du « chiffon rouge » : focaliser le débat public sur un point précis destiné à être mis de côté qui permet de faire passer sans heurts l’ensemble du texte.

Mais en fait, la loi instaure la mise en place d’une « orientation active » qui risque de renforcer le tri social et d’écarter les étudiants des filières sans débouchés. La « préinscription » obligatoire est un premier pas vers la sélection à l’entrée. Elle vise clairement au mieux à dissuader, au pire à empêcher, les futurs étudiants de s’inscrire dans la filière de leur choix. Elle est censée n’être qu’un conseil à l’orientation, mais risque de devenir contraignante grâce à l’application de la clause sur les capacités d’accueil de la loi de 1984.

Comment cela va-t-il se passer concrètement ?

D’une part, de nombreuses filières « non rentables » vont voir leurs capacités d’accueil beaucoup plus limitées fautes de moyen. Ceux que le dispositif de pré-inscription n’aura pas empêché de postuler dans ces filières pourront être malgré tout empêchés de s’y inscrire au prétexte d’une capacité d’accueil insuffisante. Cela permettra de vider ces filières de leurs étudiants pour les supprimer plus vite.

Plus généralement, par le jeu de l’offre et de la demande, les « meilleures » universités (déterminées comme telles par des classements biaisés qui ne classent pas la qualité de la formation, comme celui de Shangaï) vont attirer les gros flux d’étudiants, et leurs capacités d’accueil seront vite saturées : elles seront donc « obligées » de refuser du monde, et elles vont choisir dans le tas leurs étudiants, et pourront même le faire sans attendre la ruée des bacheliers, grâce aux pré-inscriptions. On étend donc aux universités les pratiques des prépas, IUT, etc. En fait la mise en concurrence des facs conduira très logiquement à la sélection des élèves.

De plus, la question de la sélection en Master n’est pas mise de côté ! Valérie Pécresse a déclaré dans Marianne : « La question de la sélection est une question qui doit être traitée mais elle doit l’être dans le cadre d’un chantier sur la scolarité des étudiants ». Dans cette interview (qui a pourtant lieu après la « concertation » avec les syndicats) elle avoue qu’il y aura une sélection décidée dans une des 5 prochaines lois sur les universités qui vont arriver très vite.

Professionnalisation

Dans la même interview, Pécresse va plus loin : « il ne suffit pas de sélectionner dans les Master, il faut aussi mettre de la recherche dans les Master pro et de la professionnalisation dans les Master recherche. Il faut faire du Master un diplôme en deux ans qui soit totalement professionnalisant, tout cela c’est un chantier en soi. »

Cela veut dire quoi ? Pas de sociologie sans stage de DRH ? Mais quel stage pourra-t-on faire en philosophie ?

Je ne développe pas là-dessus mais cela signifie surtout l’explosion du nombre de Licence professionnelles qui seront pour la majorité des étudiants le diplôme final destiné à s’insérer rapidement sur le marché du travail grâce à l’acquisition, non pas de connaissances, mais de compétences qui sont temporairement valorisées par les employeurs (maîtrise de tel ou tel logiciel par exemple, de telle ou telle langue, etc). Cela va dans le sens d’une individualisation de plus en plus grande des diplômes qui accroit la concurrence entre étudiants sur le marché du travail : les étudiants devront faire leurs choix de formation de manière à développer leur « employabilité », en prenant telle option, faisant un stage dans telle entreprise, etc. La logique qui a accompagnée le LMD est destinée à s’amplifier : les diplômes diffèrent d’une université à l’autre et chaque diplôme peut comprendre une multitude de parcours de formation différents. On déporte ainsi sur les étudiants la responsabilité de leur formation… et de leur insertion sur le marché de l’emploi.

Ce qui se dessine c’est un enseignement à deux vitesses avec d’un côté des facs médiocres et sans moyens servant de ressource de main d’oeuvre au patronat local et de l’autre des « pôles d’excellence » concentrant les principaux financements publics et privés. Les filières les plus généralistes, celles qui offrent une formation qui protège le plus contre le chômage, seront réservées à une élite (type ENS par exemple) tandis que la grande majorité sera dirigée vers les filières les plus courtes et les plus professionnalisantes. Au vu des débouchés incertains, les étudiants issus des milieux les plus modestes auront tendance à se tourner vers les filières qui permettent de trouver rapidement du travail. C’est déjà le cas aujourd’hui et la loi va amplifier cette situation, ce qui conduira de fait à perdre toute une génération d’étudiants et de chercheurs au profit d’une masse d’individus bénéficiant d’une formation rapidement obsolète sur le marché du travail.

Frais d’inscription

Bien que Pécresse, Fillon et Sarkozy promettent une non augmentation des frais d’inscription, les mêmes promesses avaient été faites lors du passage au LMD et n’ont pas été tenues. Bien sûr, les frais ne vont pas augmenter tout de suite. Mais la tactique d’étranglement financier va continuer. Il y aura donc quatre solutions pour les facs pour se financer : solliciter davantage le financement des entreprises, vendre leurs locaux, payer moins leurs salariés ou monter les frais d’inscription. Dans tous les pays où sont passées des réformes dans le sens de la dérégulation et de l’autonomie on a vu augmenter les frais d’inscription de manière considérable (par exemple jusqu’à 4500 euros pour une inscription en Master dans des facs publiques aux US ou en GB). D’ici à deux ans, on peut donc parier sur une augmentation généralisée des frais d’inscription. Et moins les facs réussiront à attirer les financements des entreprises, plus elles devront faire supporter aux étudiants le coût de leur formation.

PRES

Enfin, un dernier point à soumettre au débat, à mon avis pas des moindres. La loi sur l’autonomie instaure de nouvelles règles du jeu pour organiser la compétition entre les universités. En 2006, le Pacte pour la recherche a aussi créée de nouvelles règles du jeu en instaurant les PRES (regroupements qui permettent d’associer des universités, des organismes de recherche, des collectivités territoriales et des entreprises). Ces règles deviennent alors compatibles entre elles. En effet, avec l’autonomie, les universités peuvent se voir transférer des compétences qui relevaient auparavant de l’État (gestion de la masse salariale, du patrimoine immobilier, de l’offre de formation etc.). Les universités peuvent maintenant décider de transférer ces compétences nouvellement acquises aux PRES (dont les organes de décisions sont encore plus autoritaires, poids du privé encore plus grand et des personnels et étudiants encore plus faible). Si les facs les plus compétitives décident d’accentuer leur intégration dans des PRES, comme c’est déjà en train de se passer, les autres devront suivre car elles devront mettre en commun leurs moyens pour se protéger et ne pas disparaitre. On va donc vers une fusion des universités dans les PRES, c’est-à-dire une réduction du nombre d’universités et une spécialisation de chaque super-campus en fonction du bassin économique d’emploi local. Cette loi a donc un caractère transitoire en rendant plus facile la fusion d’universités : elle permet la transition vers un système de concurrence généralisé, dans lequel le savoir et la formation est piloté par les intérêts des grandes entreprises en compétition.

Mobilisation

L’attitude que tous les acteurs de l’université vont adopter face à cette loi est déterminante pour l’avenir de l’enseignement supérieur et de la recherche en France. Si cette loi s’applique, toutes celles qui vont suivre — les autres volets d’une seule et même réforme — passeront puisqu’ils se concentreront sur des aspects précis et attaqueront les différents acteurs de l’université de manière indépendante pour empêcher une mobilisation collective.

Nous avons eu des discussions au sein de l’Unef au moment du projet de loi : fallait-il aller « négocier » ? Le gouvernement a en effet agité un chiffon rouge (comme la sélection), ouvert une période ultra-courte de « négociations », pour donner l’impression aux syndicats d’avoir obtenu des « avancées » (euphémisme de « reculer pour mieux sauter »). On voit aujourd’hui que les points les plus contestés du projet de loi n’ont pas reçu un coup d’arrêt définitif et s’apprêtent à revenir dans les autres « chantiers ».

Peut-on dénaturer la loi ?

 Si les directions des syndicats n’ont pu obtenir que des modifications à la marge du projet de loi, que pourront faire les équipes syndicales localement dans une situation où les marges de manœuvre seront encore plus restreintes par l’application de la loi ? Le rapport de forces sera évidemment encore plus défavorable.
 Si cette loi passe sans heurts, c’est tous les « chantiers » suivants qu’il faudra dénaturer. Cela se fera de manière de plus en plus isolée et minoritaire. C’est surtout la combativité qui risque d’être dénaturée.

Cela fixe la barre très haut : la communauté universitaire doit être unie contre cette loi (enseignants, personnels administratifs et étudiants). En l’absence de réactions, toutes les autres lois passeront comme une lettre à la poste. L’enjeu est maintenant de faire redescendre le débat des hautes sphères et cercles syndicaux dans lesquels il est encore confiné. Il faut commencer par un long travail d’information à destination de tous les acteurs de la communauté universitaire.

D’ores et déjà, on parle d’AG dans les facs dans la semaine du 15 au 20 octobre et d’une journée d’action le 23 octobre. Quoiqu’il en soit, réunions publiques ou AG doivent être organisées conjointement par les personnels et les étudiants au plus vite et se fixer pour objectif de commencer par informer le plus largement possible.