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Conférence des Présidents du Comité National
Avenir du CNRS : message d’alerte de Yves Langevin president CP-CN
mercredi 10 octobre 2007, par
Message d’alerte envoyé par Yves Langevin, Président de la Conférence des présidents du Comité national, au nom du bureau de la Conférence des présidents du Comité national
Le 10 octobre 2007
Chers collègues
Des événements très récents nous conduisent à vous communiquer l’ensemble des
éléments factuels qui sont à notre disposition aujourd’hui. Ils démontrent à notre avis
qu’une mutation profonde de la gestion de la recherche en France se prépare dans
l’opacité la plus totale, et ce à très court terme.
Les nouvelles orientations gouvernementales indiquent une volonté de mettre les
universités au centre du dispositif de recherche, et la question du transfert total des UMR
aux universités est posée. Ces orientations apparaissaient dans la lettre de mission
envoyée le 5 juillet par le président de la République à la ministre de l’enseignement
supérieur et de la recherche, madame Valérie Pécresse, qui comporte en particulier le
passage suivant :
« S’agissant de la recherche, vous ferez évoluer nos grands organismes de recherche vers
un modèle davantage fondé sur celui d’agences de moyens finançant des projets. Vous
placerez les universités au centre de l’effort de recherche, en confortant notamment leur
responsabilité dans les laboratoires mixtes de recherche ».
Cette formulation laissait des marges d’interprétation, en particulier en terme de
calendrier, et les insistantes rumeurs du mois de juin sur une désassociation massive et
rapide des UMR avaient été qualifiés d’infondées par madame Bréchignac. Cependant, le
« démenti » de madame Pécresse était pour le moins ambigu : « les chercheurs du CNRS
resteront gérés par leur organisme ». De plus, les deux nouvelles structures présentées
par la direction du CNRS au Conseil scientifique de juin (« Laboratoire de Recherche
Commun », entièrement géré par le CNRS et « Equipe de Recherche Labellisée »)
pouvaient être interprétées l’une comme un prédécoupage de la petite fraction d’unités qui
resteraient sous le contrôle du CNRS, l’autre comme le vecteur par lequel un CNRS
« agence de moyens » soutiendrait ponctuellement telle ou telle équipe dans des
laboratoires universitaires.
Les épisodes récents concernant le plan stratégique du CNRS, qui aurait dû être examiné
pour avis au Conseil scientifique des 9 et 10 octobre, apportent des éléments
extrêmement inquiétants sur les intentions de nos dirigeants. Le corps de ce document,
préparé avec le concours des différents niveaux du Comité national (sections, CSD, CS),
présentait une vision complète des grands enjeux scientifiques et des missions de
l’organisme CNRS à l’horizon 2020. Il avait été approuvé en juin par le Conseil
scientifique. Depuis cette date, la DGRI (Direction Générale de la Recherche et de
l’Innovation) était intervenue sur plusieurs points du texte et avait piloté une refonte
complète de l’introduction, rendue disponible fin septembre, qui définissait en quelques
pages les grandes orientations stratégiques de l’organisme pour les prochaines années.
Toutes les modifications effectuées allaient dans le sens d’une restriction de l’autonomie
du CNRS dans sa capacité à développer des partenariats. Le rôle fondamental de l’ANR
était souligné (« L’ANR offre aux acteurs de la recherche des opportunités de soutien sans
précédent et le système français de recherche s’appuie de plus en plus sur cette
dynamique »). En ce qui concerne l’évaluation, la formulation retenue était la suivante :
« À l’échelle des équipes de recherche, le CoNRS utilisera l’évaluation faite par l’AERES
pour proposer des modalités de partenariat en accord avec les objectifs stratégiques de
l’organisme ».
Il est intéressant de noter que la notion même d’unité de recherche (mixte ou non)
disparaissait du vocabulaire utilisé, la structuration nationale de la recherche s’effectuant
par la relation directe du porteur de projet et de son équipe avec l’ANR.
Cette version largement remaniée du plan stratégique, via une procédure qui révèle le
niveau réel d’autonomie du CNRS dans le contexte politique actuel, était déjà
extrêmement inquiétante. Lors de l’ouverture de ses débats, lundi 9 octobre, le Conseil
scientifique a été informé que son vote sur le texte définitif était reporté sine die, car ce
point avait été retiré de l’ordre du jour du Conseil d’Administration suivant. Suite aux
questions des membres du CS, certains éléments de la lettre de G. Bloch (directeur de la
DGRI) exigeant ce retrait ont été rendus publics. Par cette lettre, G. Bloch considère qu’un
délai est nécessaire pour « prendre en compte dans ce texte fondateur les orientations du
gouvernement qui seront précisées dans les prochains mois ». Certains points sont
extrêmement précis :
– partenariat avec l’enseignement supérieur : « préciser les principes sur le pilotage
des unités aujourd’hui mixtes »
– « recrutement et gestion du personnel face à des universités autonomes, principes
de gestion des personnels dans les unités rattachées aux universités »
– degré de globalisation des dotations d’un CNRS « agence de moyens » aux
universités dans un contrat unique sous la tutelle de l’Etat.
La même lettre « incite à la prudence dans la mise en place des nouvelles structures », en clair les LRC et les ERL qui ne doivent plus être à l’ordre du jour.
Il nous semble que la seule interprétation possible de ces points spécifiques est une
volonté de transférer aux universités la gestion de l’ensemble des unités de recherche « aujourd’hui mixtes », ce qui impose bien évidemment de « réfléchir au recrutement et à la
gestion des personnels CNRS » dans ces unités nouvellement rattachées aux universités.
Ces décisions sont envisagées « dans les prochains mois », ce que confirme le retrait à la
dernière minute d’un point capital de l’ordre du jour du Conseil d’administration du CNRS.
Plus grave encore, le principe même d’un plan stratégique du CNRS est remis en cause,
car il devra « s’intégrer à un plan stratégique national » (défini cela va sans dire
exclusivement par le ministère).
Les événements récents à l’IRD, qui s’inscrivent pleinement dans cette logique, peuvent
présager de ce qui pourrait se passer dans les prochains mois au CNRS ou dans les autres
EPST. Toutes les unités mixtes IRD - Université sont aujourd’hui sous la seule tutelle des
universités partenaires.
Le nouveau paysage de la recherche tel qu’il se dessine s’oppose de front à l’ensemble des
principes défendus par le Comité national :
– disparition de toute notion de collégialité et de représentativité dans l’évaluation
avec l’AERES
– remise en cause de la logique « opérateurs de recherche – unités – équipes » au
profit d’une relation directe entre les porteurs de projet et agences de moyens
(avec une position dominante de l’ANR), alors que le financement sur projet ne
devrait avoir qu’un rôle complémentaire. Les premières victimes : la
pluridisciplinarité et la prise de risques, principaux vecteurs d’émergence de
nouvelles thématiques et plus généralement l’objectif de progression des
connaissances dans tous les domaines
– dirigisme en terme de dotations via une ANR sous le contrôle étroit du
gouvernement, sans équivalent dans les autres pays développés.
Il est important de noter que les deuxième et troisième points concernent tout autant les
universités que les EPST, le pilotage de la politique de recherche par le gouvernement sur
des bases sociétales ne leur laissant qu’une autonomie de façade (sauf bien entendu pour
les charges).
Lorsque des faits graves étayent les intentions, il ne s’agit plus de faire partager des
inquiétudes, mais de diffuser un message d’alerte. Nous vous suggérons de le relayer au
sein de votre unité et de votre thématique. Il n’est pas admissible que les 26000 agents
CNRS puissent être confrontés dans quelques mois à un changement de tutelle sans la
moindre concertation préalable. L’écran de fumée sur les intentions gouvernementales
doit impérativement être dissipé. Si ces intentions se confirment, le Comité national ne
pourra assister en spectateur passif au démantèlement de fait des organismes de
recherche publique et prendra toutes les mesures qui relèvent de ses compétences pour
s’y opposer.
Au nom du bureau de la Conférence des présidents du Comité national,
Yves Langevin