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Le Monde

Les présidents d’université ne parlent pas en notre nom

lundi 19 novembre 2007, par Webmestre

Depuis le début du mouvement étudiant contre la loi réformant les universités, dite loi Pécresse, il est frappant de constater à quel point est massivement présente, dans les témoignages recueillis par les journalistes, la parole des présidents d’université. Etant admis qu’une communauté universitaire comprend pour l’essentiel trois composantes (étudiants, enseignants et personnels administratifs), tout se passe comme si, pour connaître l’avis des deux dernières catégories, le seul avis des présidents d’université suffisait.

Certes, ceux-ci sont élus parmi leurs pairs enseignants, mais la légitimité de l’élection n’en fait pas pour autant les uniques représentants des centaines d’enseignants et de membres du personnel de chaque université. Et ce, d’autant moins que la loi en question est un curieux hybride d’idéologie néolibérale et d’aspirations dominantes au sein de la Conférence des présidents d’université (CPU), qui ne datent pas de l’élection de Nicolas Sarkozy et qui sont partagées par des présidents de bords politiques différents, la fonction tendant à transformer la personne.

Or, au-delà de tous les risques déjà dénoncés (paupérisation de certaines universités, désengagement financier de l’Etat, remise en cause des statuts de certains personnels par l’extension du domaine de la contractualisation, etc.), la nouvelle loi conduit à un renforcement sans limite des prérogatives des présidents, que ceux-ci se gardent bien de contester.

Assez curieusement ceux-là même qui se plaisent à rappeler à tout instant - y compris dans l’étonnant éditorial du Monde du 14 novembre - l’approbation de la nouvelle loi par la CPU se gardent bien de la mettre en rapport avec les nouveaux pouvoirs conférés aux présidents par la loi Pécresse. Pour comprendre les enjeux de cette affaire, il vaudrait mieux d’ailleurs éviter de postuler un conflit caricatural opposant les modernes et dynamiques partisans de la réforme aux opposants archaïques, empêtrés dans l’immobilisme.

Or, il convient de rappeler que la nouvelle loi ne se justifie en rien par la nécessité de dépasser un régime d’assemblée anarchique, qui interdirait les décisions claires. Avant même son vote, les institutions des universités françaises étaient déjà affectées par un fort tropisme "présidentialiste". A titre indicatif, le président n’était en rien responsable devant les conseils centraux de l’université et, en cas de conflit sérieux, la seule arme qui demeurait au conseil d’administration était de refuser de voter le budget annuel (faisant ainsi courir à la communauté le risque d’une administration rectorale directe). Si le conflit ne trouvait pas de solution, le seul espoir était une démission présidentielle, puisque aucun type de vote de défiance ou de mise en minorité ne pouvait conduire à une remise en cause du pouvoir attribué le jour de l’élection. Les seules limites à ce pouvoir tenaient à ce qu’il allait de soi qu’un certain nombre de domaines ne relevaient pas du champ d’action du président, notamment pour le recrutement des enseignants, et que la responsabilité de la politique scientifique de l’établissement était largement partagée avec le conseil scientifique.

Ces fragiles garde-fous disparaissent avec la nouvelle loi : le conseil d’administration perd toute possibilité de refuser le budget et le champ des prérogatives présidentielles s’accroît considérablement (y compris pour les recrutements d’enseignants), comme si l’hyperprésidence sarkozyste constituait un nouveau modèle pour toutes les hiérarchies sociales et pour toutes les formes de gouvernance.

Cette loi rend possible - tout dépendra de la personne appelée à occuper ces fonctions - une forme de despotisme présidentiel dont on peut craindre qu’il ne soit pas toujours éclairé. Ce faisant, se développeront symétriquement, à des degrés inconnus jusqu’alors, une concentration de tous les pouvoirs entre les mains d’un nombre de personnes extrêmement limité et, partant, d’inévitables pratiques de clientélisme.

La politique scientifique des établissements risque d’en être profondément affectée, car nous aurons alors affaire à une nouvelle université où la possibilité d’un développement de tous les types de recherches sera soumise aux décisions des mêmes individus, pour le plus grand malheur de la pensée critique.

Il est fondamental que les universitaires affirment que ce combat contre la loi votée en août dans la précipitation est aussi le leur. Il est urgent que les organes de direction prennent clairement position contre elle, comme l’ont fait à plusieurs reprises le président et les instances élues de l’Université Paris-VIII à laquelle nous appartenons. Il serait bon que les rares présidents qui ne veulent pas de ce surcroît de prérogatives et en mesurent les dangers le disent clairement. Il faut enfin que les enseignants et les membres du personnel s’organisent pour faire entendre leur voix et pour dire que les déclarations des présidents d’université et les communiqués de la CPU ne traduisent pas ce que beaucoup d’entre nous pensent de cette loi. Bref, il faut faire savoir que certains ne parlent pas et ne parleront pas en notre nom.


Voir en ligne : Cet article sur le site du Monde.


Pierre Bayard, Denis Bertrand, Alain Brossat, Martine Créac’h, Françoise Crémoux, Jean-Louis Déotte, Jean-Louis Fournel, Bertrand Guillarme, Serban Ionescu, Tiphaine Samoyault, Mireille Séguysont enseignants de l’université Paris-VIII Vincennes-Saint-Denis.

Article paru dans l’édition du 20.11.07