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Libération : Se confronter au réel et négocier enfin

mardi 13 novembre 2007, par Jean Fabbri

La loi libertés et responsabilités des universités (dite LRU), votée durant les vacances universitaires (est-ce un hasard ?, discutée en juin et juillet, promulguée le 10 août) et contestée dès le début par nombre d’universitaires, d’organisations, et plus de la moitié des conseils d’université, fait seulement maintenant la une de l’actualité. On doit s’interroger sur ce traitement politique et journalistique d’une des questions majeures posées à notre société. Des constats, des analyses, des revendications formulées de longue date par les étudiants, par les enseignants du supérieur — reçus comme légitimes par tous les candidats des campagnes électorales du printemps dernier — étaient soudain devenus dérangeants et non représentatifs.

Dans cette peinture de carton-pâte du monde universitaire, certains s’illustrent plus que d’autres : le gouvernement — qui méprise et ignore toutes les instances universitaires tant locales que de régulation nationale tel le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser) —, le Conseil national des universités (CNU), une partie de la presse — le quotidien le Monde en première ligne — qui n’a pas une seule fois en six mois ouvert ses colonnes aux forces syndicales des enseignants-chercheurs des universités.

La scène ainsi peinte se réduit aux présidents d’université, à la conférence des présidents d’université (CPU), qui, plus ou moins, fédère les établissements autour des plus gros, et à certaines voix étudiantes ou de « personnalités ». Ce débat confisqué, ce réel travesti revient ces jours-ci comme un boomerang.

Les débuts de la mobilisation étudiante, souvent spectaculaire par le nombre d’entre eux réunis dans les amphis, s’appuient sur un réel travail préalable d’explication du texte de loi, d’analyse du projet de budget 2008 concernant le supérieur et la recherche, et surtout sur la confrontation au vécu et aux aspirations. Aucun moyen nouveau n’a été attribué aux universités en septembre. Ni pour améliorer les conditions d’accueil et de réussite des nouveaux bacheliers à cette rentrée universitaire, ni pour rendre plus lisibles et cohérentes les formations, ni pour faciliter l’entrée dans les métiers de la recherche et de l’enseignement supérieur aux jeunes enseignants-chercheurs recrutés (à 1 600 € par mois) après plus de neuf ans d’études post-bac et des concours difficiles.

La loi est cohérente avec l’orientation « moins d’Etat » des économistes ultralibéraux ; elle organise un double désengagement : repli financier via le recours aux collectivités locales, aux fondations, aux individus (et à leurs familles) et à l’encouragement à substituer aux emplois statutaires des contrats de toute nature, pour toutes les fonctions, dans les établissements d’enseignement supérieur. Désengagement aussi des missions d’égalité, d’équité, de régulation, qui sont au cœur du service public. Les inquiétudes mises en avant par les étudiants sont fondées : inégalités territoriales et disciplinaires accrues, affaiblissement du rôle des conseils élus. Les formes et les rythmes des actions engagés contre la loi LRU sont à la mesure d’attentes sociales et professionnelles fortes. D’une manière certaine, tous les dispositifs qui prolongent la période d’activité des salariés actuels, qui retardent donc l’accès à l’emploi des jeunes adultes, les délocalisations, les reculs de l’emploi qualifié, sèment une désespérance à la fois démobilisatrice de l’investissement intellectuel requis pour les études et une colère qui aspire légitimement à s’exprimer. Les convergences des mouvements sociaux de cet automne sont révélatrices ! Les salariés des universités — enseignants-chercheurs, enseignants, personnels techniques et administratifs — voient, nombreux, dans la conjugaison de la loi LRU, du pacte pour la recherche de 2006, dans le budget 2008 sans aucune création d’emploi, une profonde remise en cause de leurs missions, de leurs statuts.

La négation même des universités comme lieux collectifs de travail scientifique et pédagogique échappant à la logique managériale n’est pas la moindre de ces remises en cause. Les spécificités, les rythmes propres des activités de recherche sont dénaturés par la logique des contrats de l’Agence nationale de la recherche (ANR), par la remise en cause des unités mixtes de recherche (UMR) [1], par les procédures de recrutement des enseignants-chercheurs. Une réelle contestation de cette loi s’organise. Elle prend de multiples formes : motions, assemblées générales, participation aux grèves et manifestations — en particulier le 20 novembre. Partout pour contourner, contrecarrer la loi, des initiatives sont lancées : à Rouen, à Amiens, au Havre, à Paris-VIII, à Paris-VI…

La situation actuelle des universités, plus largement de l’ensemble du système d’enseignement supérieur et de recherche en France, interdit le statu quo et exige démocratie dans les choix, audace dans leur mise en œuvre et confiance de la société à l’endroit des universitaires. Rien de tel avec la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche défendant un projet de budget 2008 qui ne consacre que 30 millions d’euros pour la réussite en licence… au motif qu’on ne peut donner des « crédits à fond perdus » et qu’il faut attendre ses choix futurs. Est-ce cela l’ambition ? La nouvelle responsabilité des établissements ? Ne dessine-t-on pas plutôt ainsi un système encore plus technocratique et centralisé, voué à une concurrence violente, où l’Etat renonce à toute régulation — si ce n’est à très bas minima — et à toute ambition ? Le gouvernement porte l’entière responsabilité de l’inquiétude, de la colère qui gagnent les campus universitaires. Il doit renoncer aux faux-semblants de concertation et à une loi largement contestée. Le budget 2008, amendé en profondeur pour prendre en compte les revendications des étudiants et des personnels, pourrait marquer au plus vite ces indispensables changements.


Jean Fabbri est maître de conférences de mathématiques à l’université de Tours, et secrétaire général du Snesup-FSU (Syndicat national de l’enseignement supérieur — Fédération syndicale unitaire).


[1Associées au sein d’un laboratoire des personnels et des financements universitaires et d’organismes.