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L’économie de la connaissance : quel programme pour les lettres, les arts et les sciences humaines ?

samedi 10 novembre 2007, par Martine BOUDET

Dans le cadre de la programmation européenne de « l’économie de la connaissance » [1], telle que définie par le Conseil européen de Lisbonne en mars 2000, deux lois ont été votées en France : elles concernent respectivement la création des pôles de compétitivité [2] en 2005 et le renforcement de l’autonomie des universités [3] en 2007. L’objectif de cette contribution est de démontrer le peu d’intégration des Universités en Lettres, arts et sciences humaines dans ces deux dispositifs et les conséquences de cette nouvelle gestion sur l’avenir des dites disciplines. En partant également de ce précédent qu’est la crise actuelle de la filière littéraire en lycée [4], il est proposé de rééquilibrer l’orientation nationale en matière de recherche-développement et d’enseignement.

I-Les pôles de compétitivité

A- Une instance inter-régionale au service de la recherche-développement

La création des pôles de compétitivité, officialisée en juillet 2005, s’avère une pièce importante du dispositif gouvernemental en matière d’aide au développement. Cette mesure répond aux exigences de la modernisation de l’économie, dans un cadre international globalisé et marqué par une concurrence impitoyable. Pour ce faire, mettant à profit la décentralisation d’inspiration européenne et valorisant les patrimoines régionaux, elle propose une collaboration inédite entre des équipes locales d’universitaires, d’ingénieurs et de responsables politiques :

« Un pôle de compétitivité se définit comme la combinaison, sur un espace géographique donné, d’entreprises, de centres de formation et d’unités de recherche publiques ou privées, engagés dans une démarche partenariale destinée à dégager des synergies autour de projets communs au caractère innovant. Ce partenariat s’organisera autour d’un marché et d’ un domaine technologique et scientifique qui lui est attaché et devra rechercher la masse critique pour atteindre une compétitivité mais aussi une visibilité internationale. » [5]

L’on ne peut que louer la création de ce dispositif (inter)régional de recherche-développement qui complète le processus de décentralisation politique, via la mise en place des Conseils régionaux et généraux ; il s’inspire d’expériences réussies en la matière, celles des puissants landers allemands ou des dynamiques comunidades autonomas espagnoles par exemple. Pour ces raisons, ce concept a été adopté par la classe politique et par des associations influentes du milieu universitaire telles que Sauvons la recherche (SLR) : rappelons que cette association fut fondée un an plus tôt, en 2004, dans un contexte de crise en termes de budgets et de débouchés, pour porter les revendications des enseignants-chercheurs. Ce concept doit pourtant être amélioré dans la mesure où ses principes directeurs réduisent abusivement la recherche-développement à des questions de production et d’économie marchande, au détriment de la culture, des arts et des services sociaux . Ainsi, le terme de « compétitivité » est sujet à caution : la concurrence, même loyale et non faussée, est-elle le seul principe d’organisation sociale à valoriser par l’Etat ? Doit-elle par ailleurs être assumée par la recherche universitaire ? Le terme de « pôles régionaux de coopération » ne serait-il pas plus indiqué ? A ce propos, pour une plus grande efficacité, les régions sont invitées à travailler sur des thèmes communs tels l’aéronautique, programmée à la fois en Midi-Pyrénées et en Aquitaine.

Les premiers projets labellisés — 67 en 2005, 71 en 2007 — concernent tous une activité industrielle ou corrélée à l’industrie, dans ce cas de l’ordre de l’agroalimentaire, du commerce, de la santé et de l’écologie. Ainsi, les pôles de spécialité de la région Midi-Pyrénées sont l’aéronautique et l’espace, le cancer et la bio-santé, la céramique, l’électronique, les viandes et produits carnés. La région Languedoc-Roussillon privilégie, elle, le nucléaire (Trimatec), les fruits et légumes, la gestion du risque territorial, les énergies renouvelables ; la région PACA a choisi les thèmes de la photonique, de la mer (sécurité et sûreté), de la gestion des risques et de la vulnérabilité (naturels et technologiques), des solutions communicantes sécurisées, des parfums, arômes, senteurs et saveurs…

B- L’absence des Sciences humaines et sociales et des disciplines culturelles dans les premiers pôles de compétitivité

Les avancées en matière de recherche-développement résident dans la part non négligeable allouée dans le domaine de la protection du vivant, de l’environnement, de la bio-diversité ; la prise de conscience écologique a donné lieu à une programmation portant sur la mobilité durable en milieu urbain (Ile de France), sur les énergies renouvelables ou sans effet de serre (PACA, Languedoc-Roussillon), sur l’agro-santé (Aquitaine)…

En revanche, cette innovation écarte du champ de la recherche appliquée des pans entiers de nos humanités, les sciences humaines, sociales, juridiques, économiques, politiques, les Lettres et les arts… Dans la société de l’information en construction, cette situation de monopole donnée aux sciences de la matière et de la vie ne peut que dériver en concurrence déloyale à l’égard des autres domaines, moins « rentables » à court terme, donc plus vulnérables de ce fait. Par défaut de financement dans le secteur régional de la recherche-développement, peut être minoré l’avenir de la recherche fondamentale et appliquée dans ces départements universitaires, déjà bien mal en point. Il y a là un précédent que les Universités concernées sont en droit de contester juridiquement. Témoigne de ces déséquilibres la liste des projets proposés par les Conseils régionaux et non retenus par l’Agence nationale de la recherche (ANR) [6], maître d’œuvre dans cette programmation :

Gestion des patrimoines (inter)culturels

  1. le projet PACA (Arles) dédié aux industries culturelles : diffusion numérique, bibliothèque virtuelle de la Méditerranée, sculpture d’objets virtuels…
  2. le projet Aquitaine (Biarritz-Côte basque) dédié au tourisme et aux sports de la mer

Arts et artisanats

  1. le projet Bourgogne consacré à l’image et à l’ingéniérie numérique : art de la photographie…
  2. le projet de l’Ile de France et du Centre concernant la bijouterie, la joaillerie, l’orfèvrerie
  3. le projet Ile de France sur les instruments de musique

Industries de la connaissance et de la culture

  1. le projet Poitou-Charentes sur l’industrie de la connaissance : formation à distance…
  2. le projet Poitou-Charentes sur les industries culturelles s’adressant à la jeunesse.

Développement durable

  1. le projet Poitou-Charentes sur les éco-industries
  2. le projet Nord-Pas de Calais - Picardie sur le « produire propre, sain, sûr et économe ».

Le décalage existant entre la lecture des textes officiels par certains Conseils [7], qui se sont faits l’écho des acteurs culturels et sociaux de leurs régions et celle de l’Etat central concernant les critères de validation des projets est significatif. L’interprétation donnée par l’ANR de la notion de développement national est trop réductrice : la gestion des patrimoines (inter)culturels, des traditions artistiques et artisanales, des industries de la connaissance et de la culture, des éco-industries participe également d’une démarche de développement, mais durable et à l’échelle de l’homme, des peuples et de leur histoire. Par ailleurs, l’avenir de la culture nationale ne peut être gommée d’un trait de plume par un pays qui a toujours valorisé, spécialement à travers ses patrimoines régionaux, cet héritage, cette donnée identitaire. Et cela au moment où l’Etat souhaite donner à ses régions une plus grande autonomie, nécessaire à leur expansion. Autre fait significatif, aucun DOM-TOM — à l’exception de la Réunion dont le projet est spécialisé dans l’agroalimentaire en milieu tropical — n’avait de pôle labellisé en 2005, n’ayant pas encore les moyens politiques, sans doute, d’impulser un projet de société spécifique. En juillet 2007, deux pôles — Santé tropicale en Guyane et Technologies techno-efficientes en milieu tropical à risques en Guadeloupe — ont été adossés à des projets métropolitains.

C- Pour la création de pôles à caractère socio-culturel et artistique

La liste des pôles de compétitivité n’est pas définitivement close. Ainsi, le prochain appel à projet est lancé à la mi-septembre 2007 et sera clos le 1er décembre 2007. Concernant les prochains pôles à retenir, il faudrait prendre en compte la forte demande, relayée par les médias, en matière d’éthique de la communication sociale et professionnelle (lutte contre le stress, les incivilités, les actes de violence urbaine, les dépendances et addictions, les comportements à risque… ), de dialogue interculturel (qu’il soit interrégional, intercommunautaire ou international), de promotion de l’humanitaire et de la solidarité internationale et à l’échelle des relations Nord-Sud : les régions ont en soi un capital immatériel suffisant (en termes de patrimoines culturel), aux côtés des Universités en sciences humaines et en Lettres, en Droit, en sciences politiques et économiques pour répondre favorablement à ces problématiques. Si nécessaire, sur le plan juridique, des entreprises publiques pourraient être intégrées à l’équipe des acteurs (Université- Conseil régional- Entreprise) chapeautée par l’Etat. Dans cet ordre d’idée, s’imposent des pôles de « compétitivité » (!) spécialisés dans la promotion du mieux vivre ensemble, dans celle des langues-cultures de France et d’une Francophonie ouverte aux cultures des autres peuples : création linguistique, littéraire, musicale, artistique, médiation interculturelle, anthropologique, géo-politique, psycho-sociale, tourisme, co-développement et coopération décentralisée, aide au développement durable… L’Agence Nationale de la Recherche pourrait, elle, établir un quota de sécurité, favorisant ces pôles complémentaires (pôles de « coopération ») et dont la rentabilité à terme est réelle.

Les prochaines échéances électorales fourniront, il faut l’espérer en tout cas, l’occasion de faire le bilan des pôles de recherche et de proposer des alternatives concrètes et à caractère culturel et social ; l’occasion, ce faisant, de promouvoir un débat nécessaire sur la question des stratégies de développement. A défaut de quoi, notre société continuera de verser dans une forme de croissance extravertie et mercantile. Face au rouleau compresseur de la technocratie et de l’atlantisme néo-libéral sur le mode de Sillicon Valley, l’autonomie des Universités par rapport au marché et la solidarité des régions à cet égard restent des principes d’actualité.

II- La loi sur l’autonomie des universités

(Cette partie a été élaborée dans le cadre de la commission « enseignement supérieur » d’ATTAC [8])

Qu’en est-il du deuxième dispositif mis en place dans la dernière période ? Votée en 2007, la Loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) définit l’Université française comme « participant à la construction de l’Espace européen de l’enseignement supérieur et de la recherche » (article 1). Cela dit, l’interprétation qui est donnée de la résolution finale du Conseil européen de Lisbonne de mars 2000 (faire de l’économie européenne « l’ économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ») y est restrictive. En effet, par la privatisation accrue des services publics d’enseignement et de recherche au nom de leur rentabilisation, c’est en fait la marchandisation des savoirs et la concurrence déloyale des disciplines qui risque de se mettre progressivement en place.

A-Une privatisation accrue des universités

L’Université de la République, l’un des fondements de la démocratie, était déjà fragilisée (manque de financement de l’Etat, inégalités sociales entre les étudiants, LMD introduisant un premier niveau de mise en concurrence des établissements, etc.). Désormais, la LRU ouvre un processus qui peut remettre en cause la nature même de l’Université française.

Du fait de l’accroissement du financement privé de l’Université, au moyen de fondations bénéficiant de cadeaux fiscaux,. l’indépendance de l’institution est menacée. En outre, cette loi renforce fortement les pouvoirs du Conseil d’administration (CA) et du Président d’Université, lequel est transformé en manager d’entreprise. Ainsi, l’article 19, par la possibilité qui est octroyée de multiplier le nombre de CDD au nom du critère de rentabilité, consacre la précarité professionnelle des personnels les moins favorisés. Quant aux fonctionnaires, ce même article met en place la modulation de leurs services : ce dispositif permet de sanctionner des enseignants-chercheurs dont la recherche ne plairait pas, par exemple en doublant le nombre d’heures d’enseignement, les privant ainsi du temps minimal nécessaire à une activité de recherche. En revanche pourraient être « dispensés » d’enseignement, ceux dont les résultats de la recherche satisferaient les riches mécènes, la LRU prévoyant en outre pour eux des primes d’intéressement.

Pour résumer, la LRU programme une Université à caractère néo-libéral-autoritaire dont les personnels seraient progressivement soumis au Président/manager et au CA, eux-mêmes mis sous la contrainte des nouveaux grands financeurs que seront les entreprises et les mécènes. Dans ces conditions, sont menacées à terme la neutralité de l’orientation et de la sélection des étudiants, la liberté académique des enseignants et des chercheurs, l’indépendance de l’Université, lieu de formation à la démocratie, celle de la recherche elle-même, garante d’une expertise rigoureuse et pluraliste et source d’avancées scientifiques imprévisibles.

B-La discrimination objective « au savoir »

La LRU accroît enfin — et là est l’objet principal de cette contribution — la concurrence et les inégalités entre les universités elles-mêmes et entre les savoirs dont elle sont les légataires. Le désengagement financier de l’Etat se double en fait d’une forme d’irresponsabilité morale, à l’égard de son rôle de garant du patrimoine national et de son avenir, dans toute sa diversité . Ainsi, selon leur degré d’attractivité en termes de marketing, certaines universités seraient richement dotées de fonds privés tandis que les autres seraient plongées dans l’austérité. Entre autres, les Universités de Lettres, Arts et sciences sociales, dont l’objet de recherche et d’enseignement n’est pas ou est peu directement marchandisable, risquent de payer cher leur indépendance. D’autant que ces universités sont largement féminisées, ce qui renforce leur vulnérabilité dans le rapport des forces actuel entre cultures de genre… Tel est le constat des études menées en particulier par le groupe Simone sagesse, groupe de femmes sociologues de l’université de Toulouse le Mirail [9]. Les grèves qui émaillent la rentrée universitaire 2007 dans les facultés de Lettres et sciences humaines (celles de Toulouse le Mirail, de Rouen, de Lille, d’Aix en Provence…) traduisent la vive inquiétude des étudiants en ce qui concerne leur avenir.

En fait, comme écrit précédemment, cette discrimination objective « au savoir » a un précédent avec la création en 2005 (soit deux ans avant le vote de la LRU) des pôles régionaux de compétitivité. Dans ce cas , les financeurs-décideurs sont à la fois des entreprises privées et des Conseils régionaux. Autant dire qu’avec ce double dispositif — LRU et pôles régionaux de compétitivité — dont le cadre est respectivement européen et régional, l’économie de la connaissance telle que mise en place obéit à une logique singulièrement restrictive, en fait commerciale et marchande. La démocratisation du débat public sur les stratégies alternatives de recherche-développement s’impose donc.

III- L’avenir de la filière littéraire en jeu

De même que la recherche-enseignement universitaire dans les domaines précités, la filière littéraire en lycée file un mauvais coton. En témoigne la création de l ‘association, Sauver les Lettres en 2000, qui attire l’attention de manière générale sur la situation de l’enseignement du Français dans l’enseignement secondaire. En 2005, le numéro 135 du Débat, intitulé Comment enseigner le français ? tirait la sonnette d’alarme :

« Il n’y a pas aujourd’hui de discipline facile à enseigner. Mais les disciplines littéraires sont certainement parmi les plus touchées par la difficulté.

Une enquête récente place la littérature parmi les matières les moins de nature à susciter le goût d’apprendre chez les élèves et cela non seulement du point de vue de ces derniers mais également du point de vue des parents et des enseignants.

Alors pourquoi ? Il n’est que temps de se poser la question tellement les conséquences vont loin. Derrière la littérature, en effet, il y va de la langue et de la lecture. Nous sommes devant un problème qui touche aussi bien les usages élémentaires de discours que ses expressions les plus élaborées. Avant de se manifester par le désintérêt pour les belles lettres, il se traduit dans les phénomènes d’appauvrissement du vocabulaire, de fuite devant la lecture, ou d’embarras à rédiger. » [10]

Un an plus tard, en 2006, le rapport de l’Inspection Générale de l’Education Nationale publie un rapport « Evaluation des mesures pour réévaluer la filière littéraire en lycée » qui va dans le même sens : la filière L — c’est-à-dire l’une des trois filières historiques préparant à un Baccalauréat général — est vouée à disparaître si aucune réforme structurelle n’intervient pour stopper sa marginalisation au sein du système éducatif. C’est le constat de l’échec des tentatives antérieures pour la réhabiliter. Comme l’explique le rapport, le problème est d’abord d’ordre contextuel et macro-économique : un contexte socio-culturel défavorable aux études littéraires, une visibilité insuffisante en matière de débouchés professionnels, un taux de recrutement très insuffisant (aux alentours de 10%), un recrutement surtout par défaut concernant des publics en échec ailleurs, un public féminin qui est passé dans la dernière période de 60% à 86%, public par conséquent vulnérabilisé… tels sont quelques-uns des symptômes cliniques relevés [11] :

« Longtemps majoritaire, la série littéraire de l’enseignement secondaire (série L) a connu, durant les récentes décennies et singulièrement au cours des dernières années, une érosion marquée de ses effectifs. En quinze ans, ils ont baissé de 28% cependant que ceux de la série ES augmentaient de 18%, ceux de la série S de 4%.

En outre, ce recul quantitatif se double d’une dégradation qualitative : loin d’attirer les meilleurs éléments des classes de seconde, elle apparaît trop souvent comme un refuge pour des élèves en délicatesse avec les disciplines scientifiques et amenés là par défaut plutôt que par goût pour les enseignements littéraires. Un telle évolution n’est pas sans conséquence sur l’image de la série, dont la représentation a suivi la même pente déclinante que la statistique.

Les enjeux ne sont pas minces. Derrière le déclin de cette formation se profile en effet une autre menace, celle de voir disparaître un pan essentiel de notre tradition et de notre culture. Or ce patrimoine représente une certaine vision du monde, un mode d’expression original de l’expérience humaine. Plus simplement, il nourrit une approche intellectuelle profitable à un fonctionnement social équilibré — particulièrement utile dans un monde où l’information et la communication exercent un rôle décisif. »

Là encore, dans l’économie générale du système socio-éducatif, la concurrence entre les disciplines a fonctionné de manière anormale et en la défaveur des humanités littéraires, comme le montre, à l’occasion de la réforme de l’enseignement du français en lycée en 2000, Alain Boissinot, Inspecteur Général en Lettres ; les sciences humaines, disciplines pourtant voisines intellectuellement des Lettres, ont été « monopolisées » par la filière économique (ainsi que par les filières technologiques et professionnalisantes) dans une perspective de rentabilité immédiate :

« La série littéraire connaît un véritable effondrement. (…) L’émergence de la série économique et sociale, à partir des années soixante, y est évidemment pour quelque chose : le littéraire s’en trouve repoussé sur un territoire plus étroit, et voit se développer à ses côtés le champ des sciences humaines. Il y a là sans doute une occasion d’élargissement ratée. Depuis, la série littéraire ne cesse de reculer(…)
Accepter cette situation signifierait que le français, à terme, n’aurait plus de relation privilégiée avec une voie de formation originale, et apparaîtrait comme une simple composante de voies spécifiées par d’autres disciplines. »
 [12]

Quant aux responsabilités propres à la discipline littéraire elle-même dans cette situation, elles sont manifestes dans les limites de la réforme de l’enseignement en lycée promue en 2000 : peut-on parler de « refondation » quand cet enseignement dans le cadre de la filière L, censé porter le niveau le plus élevé de la matière, est réduit à une spécialisation minime par rapport aux autres filières générales : peu de programme spécifique, pas de manuel propre, très peu de bagage scientifique… ? Tous les ingrédients d’une marginalisation fatale étaient réunis.

Comme pour les pôles de compétitivité, un programme alternatif et compensatoire s’impose donc : ainsi, la sauvegarde de la filière littéraire en lycée passe par son ouverture sociale et intellectuelle. l’IGEN préconise à juste titre dans son rapport la mise en place de plusieurs dominantes, reliées à l’Université : littératures et civilisations, arts et culture, communication et sciences du langage, sciences humaines, institutions et droit. L’avenir dira ce que les forces en présence réussiront à pérenniser voire à reconstruire dans ce cas exemplaire. Le caractère aléatoire de l’avenir de la filière L démontre de toute manière que, dans l’organisation actuelle du système socio-éducatif, le rouleau compresseur néo-libéral peut écraser les entités minoritaires. Qu’en serait-t’il avec la pérennisation des pôles de compétitivité et la Loi sur l’autonomie des universités sous leur forme actuelle ?! Pour conclure, le rééquilibrage de « l’économie de la connaissance » nécessite une solidarité de tous les acteurs et une coopération interdisciplinaire, pour la défense de l’intérêt de tous.


[5Journal Officiel (JO) du 28 novembre 2004

[6La liste des projets non retenus est donnée dans un numéro spécial des Echos, consultable sur Internet (rubrique : « pôles de compétitivité »).

[7Ainsi, le Conseil Régional de Poitou-Charentes s’est vu refuser onze projets de recherche à caractère culturel ou de service public et social.

[10Revue Le débat, Comment enseigner le français ? p.3 (n°135, été 2005)

[11Rapport de l’Inspection Générale de l’Education nationale (2006), p.7. Le programme de réforme de la filière Littéraire préconisé par l’IGEN sera étudié dans la deuxième partie du chapitre.

[12Alain Boissinot, Les enjeux des disciplines, in Perspectives actuelles de l’enseignement du français, p.34 (Direction de l’enseignement scolaire, 2001)