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Libération

La régression féodale de l’enseignement supérieur

Le projet gouvernemental ruine l’idée d’un service public universitaire démocratique

lundi 23 juillet 2007, par Jean Fabbri

Article paru dans les pages "Rebonds" du journal Libération daté du 23 juillet 2007.

Le projet de loi libertés et responsabilités des universités, lancé par le président de la République et présenté par le gouvernement dans la symbolique d’un des premiers textes législatifs du nouveau quinquennat, opère un glissement essentiel dans les missions et les principes de service public de notre système d’enseignement supérieur et de recherche. Il conduira, s’il est adopté et mis en œuvre, à remodeler en profondeur l’université et, au-delà, la société entière.

Présenté comme un texte parmi d’autres annoncés sur les « chantiers » du supérieur (réussite en licence, métiers, jeunes chercheurs, etc.), le projet de loi visant d’abord l’ « autonomie renforcée » remet en cause l’idée même d’un service public universitaire démocratique dans ses fins et son organisation, et touche au cœur les modalités de constitution, de mémoire et d’avancées des corpus scientifiques. Les enjeux du XXIe siècle appellent au développement sans précédent des formations post-baccalauréat, pourtant les moyens et l’organisation actuelle brident la réussite de trop d’étudiants. Les nouveaux bacheliers et leurs familles qui s’acharnent à comprendre et à trouver leur voie dans le système universitaire ont besoin de signaux forts et d’encouragements pour affronter le travail intellectuel nécessaire lié aux études.

Le gouvernement n’a pas choisi cette approche, refusant jusqu’à aujourd’hui d’affecter des moyens supplémentaires aux universités de notre pays, qui sont loin de disposer des budgets comparables à celles des pays voisins. Pour nos universités, le statu quo n’est pas possible, mais le projet présenté par le gouvernement va à l’encontre des objectifs de recherche et de formation qui nécessitent démocratie collégiale et régulation nationale forte s’appuyant sur des assemblées élues (Parlement, Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche) dans le cadre d’un service public diversifié se fondant sur des personnels aux statuts reconnus.

Le projet de loi va figer une hiérarchie des établissements et conduira à des universités « à plusieurs vitesses » : certaines offrant toute la gamme des formations LMD (licence, master, doctorat) dans un large éventail de disciplines, s’appuyant sur des laboratoires forts, d’autres fragilisées dans leurs ressources visant les seules formations professionnelles et le plus souvent limitées au niveau licence.

C’est nier le cœur du supérieur qui doit articuler au mieux recherche et formation. La reconnaissance nationale des diplômes, qui est un des facteurs de motivation des jeunes étudiants s’en trouverait lourdement affectée.

Ce texte de loi touche aux fondements démocratiques de notre société, en modifiant les procédures de recrutements des enseignants-chercheurs dans leur dimension disciplinaire et statutaire (en confiant de fait la reconnaissance de la compétence scientifique d’un futur universitaire à un président étranger aux enjeux de spécialités, doté de l’exorbitant pouvoir de veto) comme d’équité salariale. Le cœur même des universités est bouleversé.

Nous, universitaires, n’avons pas choisi ce calendrier, les députés qui abordent ce texte en plein été devraient avoir la sagesse de renoncer à ce devoir de vacances.


Voire aussi sur le site du journal Libération à l’adresse : http://www.liberation.fr/rebonds/26...